Voyage au cœur de l’appellation Bellet : cépages et secrets d’un terroir d’exception

14 novembre 2025

Un vignoble suspendu entre mer et montagne : la singularité de Bellet

À l’extrémité sud-est de la France, les vignes de Bellet courent sur les hauteurs niçoises et s’accrochent aux collines qui dominent la ville. Avec moins de 60 hectares cultivés répartis sur seulement neuf domaines à ce jour (source : Syndicat des Vins de Bellet, chiffre 2023), l’appellation Bellet AOC fait figure de rareté dans le paysage viticole français. Ici, l’influence conjointe des Alpes, du vent marin et de sols faits de galets roulés — appelés localement « poudingue » — crée un équilibre climatique idéal, propice à des raisins à la maturité lente et à l’expression aromatique intense.

Restée quasi confidentielle pendant des décennies, l’appellation s’ancre dans une identité singulière, notamment grâce à la sélection de cépages autochtones, à des traditions viticoles bien définies et à une réglementation rigoureuse, garantes de la qualité et de l’authenticité de ses vins.

Cépages autorisés : l'identité aromatique de Bellet

La force de Bellet réside surtout dans le choix de ses cépages. Ici, pas question d’aligner cabernet sauvignon ou syrah à l’infini : la tradition niçoise s’incarne dans des variétés souvent méconnues, parfaitement adaptées à leurs conditions uniques.

Les cépages blancs : fraîcheur et complexité

  • Rolle (vermentino) : Pilier des blancs de Bellet (la part obligatoire est de 60 % minimum dans l’assemblage), le rolle apporte fraîcheur, structure et notes d’agrumes, de fleurs blanches et d’herbes du maquis méditerranéen. Son implantation dans la région est ancienne, probablement depuis le Moyen Âge, et il s’avère particulièrement résistant à la sécheresse et au vent marin.
  • Chardonnay et Clairette : Ces deux cépages restent accessoires (cumulés ou séparément, ils ne doivent pas dépasser 40 % maximum), souvent utilisés pour arrondir les assemblages ou apporter un peu plus de volume.

Le Bellet blanc, représentant autour de 15 % à 20 % de la production totale (source : Nice Matin, 2022), séduit par sa palette minérale et fraîche, idéale sur les produits locaux (socca, petits farcis, fromages de chèvre…).

Les cépages rouges et rosés : authenticité méditerranéenne

  • Folle noire (ou Fuella Nera) : Cépage roi du Bellet rouge, il doit être présent à 60 % minimum dans l’assemblage (et pour certains domaines, il dépasse les 80 %). Très rare en dehors de l’appellation, la folle noire confère aux vins leur robe profonde, des tannins souples et une grande fraîcheur, avec une palette allant du cassis à la violette, en passant par des épices douces.
  • Braquet : Au cœur de l’identité niçoise, ce cépage autochtone, parfois orthographié « Braquet de Nice », se retrouve aussi bien en rouge qu’en rosé. Il offre des notes délicates de fraise, de pivoine, ainsi qu’une pointe d’herbes, et adoucit l’assemblage.
  • Grenache : Utilisé en appoint, il est autorisé à hauteur de 15 % maximum en rouge et en rosé.

Le rosé de Bellet, puissant et aromatique, affiche une robe soutenue et trouve sa place sur toutes les tables niçoises, des sandwicheries populaires aux adresses étoilées.

Fait marquant : Le braquet et la folle noire sont tous deux quasiment introuvables dans d’autres vignobles français. La folle noire, par exemple, couvrirait selon le CIVP moins de 30 hectares hors Bellet, presque tous en plantations expérimentales.

Les grandes règles de l’appellation Bellet : un cahier des charges exigeant

Classé AOC (Appellation d’Origine Contrôlée) depuis 1941, puis AOP au niveau européen, le vignoble de Bellet s’appuie sur un cahier des charges afin de préserver typicité, éthique et qualité. Ce règlement concerne aussi bien la sélection des cépages que la culture, la vinification et la commercialisation.

Délimitation géographique stricte

  • Un seul territoire : l’AOC ne concerne que le quartier de Bellet, mais aussi de Crémat, de Saint-Roman-de-Bellet et quelques hameaux environnants, tous intégralement situés sur la commune de Nice. C’est l’une des seules appellations urbaines de France, puisque certaines parcelles jouxtent directement des zones résidentielles ou des plans d’urbanisme en extension.
  • Altitude des vignes : Les parcelles oscillent entre 200 et 400 mètres, posées sur des pentes raides qui rendent la mécanisation compliquée et imposent souvent une viticulture manuelle.

Ce morcellement explique la faible superficie disponible et les rendements très bas : selon l’INAO, ils ne doivent pas dépasser 40 hl/ha pour les rouges et rosés, 45 hl/ha pour les blancs (contre 50 à 60 hl/ha dans les appellations voisines).

Règles de culture et de vinification

  • Encépagement : Les proportions minimales et maximales de chaque cépage sont strictement encadrées (voir plus haut).
  • Vendange manuelle obligatoire : Compte tenu du relief et de la fragilité des cépages anciens, les vendanges à la main restent une obligation dans tous les domaines. Ce savoir-faire artisanal limite le rendement mais garantit une sélection rigoureuse des raisins.
  • Maturité du raisin : Le degré alcoolique volumique minimum naturel est fixé à 11,5 % pour tous les types (source : INAO), une exigence qui garantit la bonne maturité du fruit.
  • Chaptalisation (ajout de sucre) : Interdite pour préserver l’authenticité du produit final.
  • Techniques œnologiques : Seules les pratiques traditionnelles sont autorisées. Toute implantation de cépages non autorisés, ou tout ajout d’intrants chimiques non recensés par la réglementation européenne, entraîne le déclassement hors AOC.

Un vignoble sous surveillance

Chaque année, un contrôle qualité est réalisé par un comité de dégustation. Ce dernier vérifie le respect des critères organoleptiques (couleur, nez, bouche, typicité aromatique) définis par le cahier des charges. Seuls les vins validés peuvent prétendre à l’étiquette « Bellet AOC/AOP ».

L’histoire vivante d’un patrimoine niçois

Le vignoble de Bellet puise son héritage dans l’histoire même de Nice. Déjà mentionné dans des édits du comté de Savoie au XVe siècle, il était servi à la table des ducs de Savoie puis exporté vers Turin et le Piémont (source : Archives de la Ville de Nice). Le célèbre compositeur Paganini, amateur de bonnes choses, y aurait trouvé l’un de ses vins favoris.

Au XXe siècle, l’urbanisation galopante a fait perdre près de 80 % de sa surface viticole à Bellet, passant de plus de 300 ha avant-guerre à moins de 60 ha aujourd’hui. Cette rareté explique l’importante valeur patrimoniale, et les efforts constants pour maintenir des cépages anciens et préserver la typicité du terroir.

Anecdotes et chiffres

  • Production annuelle : Entre 1200 et 1500 hectolitres par an, répartis à 40 % en rouge, 40 % en rosé et 20 % en blanc (source : ODG Bellet 2022).
  • Exportation rare : Moins d’un tiers des bouteilles produites chaque année dépassent le marché régional, ce qui fait du Bellet un vin difficile à trouver hors des Alpes-Maritimes.
  • Vieux ceps : Certains pieds de folle noire et de braquet dépassent 60 ans, témoins d’un patrimoine vivant et d’un savoir-faire transmis sur plusieurs générations.

Un vignoble d’avenir entre tradition et innovation

Aujourd’hui, les producteurs de Bellet relèvent plusieurs défis. Si le respect du cahier des charges AOC garantit la préservation du contexte local, des expérimentations voient le jour, notamment en matière de viticulture biologique, de biodiversité (enherbement naturel, haies plantées), de cuvées parcellaires ou de vinification en amphore. L’appellation a obtenu un taux de conversion en agriculture biologique parmi les plus élevés de France : plus de 90 % des domaines étaient certifiés ou en conversion fin 2023 (source : Syndicat des Vins de Bellet).

L’appellation Bellet, par ses cépages rares, ses règles strictes et son histoire profondément niçoise, incarne la vitalité du patrimoine local. Elle invite à la découverte et au respect d’un terroir unique, suspendu entre la terre, la mer et le ciel, où chaque verre s’apparente à un carnet de voyage sensoriel à travers les collines de Nice.

Sources principales : Syndicat des Vins de Bellet, INAO, ODG Bellet, Nice Matin, CIVP, Archives de la ville de Nice.

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