19 octobre 2025
Le vignoble de Bellet, perché sur les collines de Nice, surplombant la Baie des Anges, captive par son histoire et son originalité. S’étendant sur à peine 50 hectares, il demeure l’un des plus petits crus de France bénéficiant d’une AOC depuis 1941. Mais il se distingue surtout par une mosaïque de cépages singuliers, dont les variétés rouges sont la signature même de son caractère. Ici, la Méditerranée caresse les rangs de vignes tandis que les influences alpines apportent fraîcheur et complexité, donnant naissance à des vins rouges racés, délicats et mystérieux.
Si Bellet abrite une diversité de cépages, trois noms retentissent comme des totems pour les rouges : la Folle Noire, le Braquet et le Grenache. Chacun y exprime un pan de l’âme niçoise, forgé par le soleil, les vents ligures et l’ingéniosité des vignerons.
La Folle Noire, qui occupe aujourd’hui 40 à 50 % des surfaces consacrées aux rouges de l’appellation (source : Syndicat de l’AOC Bellet), se distingue par son comportement capricieux. Ce cépage difficile à maîtriser alterne faibles et bonnes récoltes selon les années. Il apprécie les sols pauvres et caillouteux typiques de Bellet, ce “poudingue” composé de galets roulés mêlés à de la marne. Historiquement originaire du Sud-Ouest, la Folle Noire est devenue la marque subtile des rouges niçois. À la dégustation, elle offre une robe grenat profonde, un nez de fruits noirs compotés, de réglisse, parfois des notes de violette et d’olive noire. On retrouve en bouche une structure souple, des tanins discrets, une finale vive portée par une acidité rafraîchissante — expression même de la conjonction alpes-méditerranée. Elle entre obligatoirement dans l’assemblage de tous les rouges de l’appellation, parfois jusqu’à 80%.
S’il fallait désigner un cépage comme l’héritier direct du patrimoine niçois, ce serait bien le Braquet. Exclusif à Bellet, ce cépage se retrouve nulle part ailleurs en France en AOC, conférant aux rouges de Bellet un souffle unique. Le Braquet est rare : il couvre moins de 20 hectares dans le monde, presque tous sur les collines niçoises. Son nom proviendrait du seigneur local “Brac”, qui possédait des terres à Saint-Romans-de-Bellet au Moyen Âge. Compact et modéré en tannins, le Braquet s’exprime dans la fraîcheur : notes de griotte, d’herbes sauvages, de pivoine. En bouche, il séduit par sa légèreté, son élégance, et des arômes subtils de fruits rouges acidulés. Le Braquet signe souvent les cuvées les plus originales, soit pur, soit en assemblage pour offrir délicatesse et buvabilité. Ses faibles rendements (souvent inférieurs à 40 hl/ha) font le bonheur des amateurs de cuvées confidentielles.
Impossible de parler de rouge méridional sans évoquer le Grenache. Présent depuis plusieurs siècles dans les vignobles du Sud, ce cépage trouve à Bellet un équilibre inattendu grâce à l’altitude (200 à 400 m), au vent et à la proximité maritime qui atténuent la chaleur. Le Grenache apporte la chair, la rondeur et la générosité au sein des assemblages. Il tempère la fougue du Braquet et la nervosité de la Folle Noire. À maturité, le Grenache engendre des vins aux reflets pourpres profonds, riches en fruits mûrs, en épices douces et en nuances chocolatées. Il favorise l’aptitude à la garde de certains rouges de Bellet, tout en offrant une structure plus marquée sur les tanins en jeunesse. Dans certains millésimes, il peut composer jusqu’à 40% de l’assemblage, sa présence étant strictement régulée par le cahier des charges de l’AOC.
| Cépage | Proportion moyenne en AOC rouge | Surface approximative (2023) |
|---|---|---|
| Folle Noire | 40-50% | 20-25 ha |
| Braquet | 25-30% | 8-12 ha |
| Grenache | 20-30% | 7-10 ha |
Source : Syndicat de l’AOC Bellet, France Agrimer 2024.
La beauté des rouges de Bellet réside dans l’art de l’assemblage. Si le cahier des charges impose un minimum de 60% de Folle Noire et Braquet réunis, chaque vigneron ajuste la partition, jouant sur la maturité et la texture de chaque cépage. Le terroir de poudingue, pauvre et drainant, oblige la vigne à explorer en profondeur pour se nourrir, réduisant naturellement les rendements et concentrant les arômes. L’exposition au vent marin (“le marin”) tempère la chaleur estivale, tandis que le mistral purifie les raisins. Ceci permet une maturation lente et homogène — capital pour la fraîcheur et l’élégance des rouges. Certains domaines élaborent des cuvées parcellaires ou en mono-cépage, offrant aux amateurs la possibilité de découvrir, par exemple, la pureté d’un Braquet ou la profondeur d’une vieille Folle Noire. Mais l’essence de Bellet, c’est bien la complémentarité de ces trois cépages réunis par la main de l’homme et les caprices de la nature.
Goûter un rouge de Bellet, c’est partir en voyage. La robe, souvent grenat limpide, annonce la légèreté et la finesse. Le nez dévoile des bouquets changeants suivant les assemblages : petites baies rouges, eucalyptus, réglisse, touches iodées et herbes de la garrigue. En bouche, la fraîcheur surprend souvent, portée par l’altitude et l’acidité naturelle. Les fruits rouges frais côtoient la pivoine, le poivre blanc, la tapenade et parfois l’olive noire ou le cuir. Les tanins sont présents mais soyeux — rien de massif ni d’opaque, ici, tout évoque la subtilité et la buvabilité. Cette signature sensorielle incarne la rencontre du sud et de la montagne, une rareté en France, renforcée par l’aura confidentielle du vignoble.
Le vignoble de Bellet, bien que modeste en taille, regorge d’histoires. On dit qu’au XVIIIe siècle, les rouges de Bellet étaient servis sur la table des rois de Sardaigne, tandis que Garibaldi y trouvait l’énergie de ses campagnes. Plus tard, les moines cisterciens perpétuèrent la culture du Braquet, qui faillit disparaître au XXe siècle avant un retour en grâce sous l’impulsion d’une poignée de vignerons passionnés. Aujourd’hui, l’AOC Bellet œuvre à préserver cette diversité par la sélection massale (plutôt que les clones), l’adaptation au changement climatique et la conversion progressive aux pratiques bio (plus de la moitié des domaines sont certifiés ou en conversion en 2024 — source : Vins de Bellet). L’objectif : maintenir la typicité et la distinction de ces cépages rouges si singuliers.
Les cépages rouges de Bellet, loin des standards du Sud, sont l’écrin d’un style, d’une émotion et d’un savoir-faire enracinés dans le paysage niçois. Folle Noire pour l’intensité, Braquet pour la délicatesse, Grenache pour l’équilibre, ils forment une alliance défendue bec et ongles par les vignerons locaux. À l’heure où la curiosité des amateurs se tourne vers l’authenticité et la fraîcheur, Bellet, avec ses rouges aux allures de bijoux, s’invite de plus en plus à la table des plus grands. Oser découvrir ces vins, c’est ouvrir une porte sur une partition méditerranéenne pleine d’histoire, de parfum de maquis et d’accords inattendus. Entre mer et montagne, le rouge de Bellet reste une promesse d’évasion et un témoin vivant des racines niçoises.