Bellet : du secret niçois aux projecteurs du monde viticole

4 octobre 2025

Un vignoble confidentiel aux origines antiques

Sur les collines dominant la baie des Anges, le vignoble de Bellet trace une histoire singulière, modelée au fil des siècles par les peuples méditerranéens. L’empreinte viticole y est ancienne : des vestiges archéologiques attestent de la présence de la vigne à l’époque romaine, confirmant que la culture du vin fait partie de l’ADN niçois. Les amphores retrouvées dans la région (en particulier sur la colline de Cimiez) laissent supposer que les Grecs auraient introduit la vigne dès le Ve siècle av. J.-C., bientôt perfectionnée par les colons romains.

Cependant, malgré cette longue tradition, Bellet reste pendant des siècles un vignoble dissimulé derrière les remparts de Nice, réservé à une poignée de familles locales ou à de rares visiteurs ayant franchi la Porte de France. Le phylloxéra, au XIXe siècle, n’épargne pas cette terre, mais à la différence d’autres terroirs, c’est l’urbanisation galopante et le mitage du paysage qui menacent plus durablement l’existence même du vignoble au XXe siècle.

Des prémices à la reconnaissance : le temps des pionniers

Le chemin vers la reconnaissance de Bellet s’ébauche à l’aube du XXe siècle, porté par quelques familles d’irréductibles viticulteurs — L. S. Tardieu, les Dalmasso, les Rasse ou encore les Borges, pour n’en citer que quelques-uns. Le vignoble est alors surtout connu dans la région niçoise, figurant en bonne place sur les tables des hôtels particuliers ou des restaurants lorgnant vers la Promenade des Anglais.

L’une des particularités du Bellet réside dans la combinaison de cépages rares, cultivés sur une mosaïque de sols : la folle noire, le braquet, le rolle… Des variétés souvent incomprises hors du microclimat niçois, mais dont la singularité commence à intriguer certains négociants et critiques dès l’entre-deux-guerres. Le premier « acte de notoriété » provient sans doute de l’intérêt que porte la cour de Savoie au XVIIIe siècle pour certains vins de Bellet — une forme de reconnaissance précoce dans le cercle des élites régionales (sources : Ville de Nice, Musée Masséna).

La consécration de l’AOC (1941-1948) : une étape charnière

La bascule s’opère dans un contexte tourmenté : en 1941, en pleine Seconde Guerre mondiale, le Bellet fait une demande d’Appellation d’Origine Contrôlée pour protéger ses vignes et ses savoir-faire. À l’époque, seuls une poignée de viticulteurs subsistent encore. Ce n’est qu’en 1941 que l’AOC est reconnue par décret, mais la publication officielle n’aura lieu que le 11 novembre 1948 (source : Institut National de l’Origine et de la Qualité – INAO).

  • 1941 : Dépôt de la demande d’AOC Bellet.
  • 11 novembre 1948 : Publication du décret d’AOC Bellet pour les vins blancs, rouges et rosés, sur seulement une cinquantaine d’hectares à l’époque.

Ce classement remarquable fait de Bellet l’un des premiers crus reconnus sur la Côte d’Azur, loin devant les Côtes-de-Provence (1951) ou les Coteaux Varois (1993). L’AOC garantit le maintien de cépages autochtones et de méthodes de vinification liées à la tradition niçoise.

Freins et accélérations : Bellet face aux dynamiques locales et nationales

L’obtention de l’AOC ne bouleverse cependant pas immédiatement la notoriété du Bellet hors de son berceau. Le vignoble, menacé par l’urbanisation de l’agglomération niçoise, ne subsiste qu’au prix de mesures draconiennes prises par la municipalité dans les années 1970 et 1980. À l’heure où la Côte d’Azur se couvre d’immeubles et de résidences, Bellet choisit la voie de la résistance patrimoniale.

  • 1972 : La ville de Nice publie, via le Plan d’Occupation des Sols, des mesures spécifiques pour la protection des terres agricoles sur la colline de Bellet.
  • Années 1980 : Reprise de domaines historiques et installation de nouveaux vignerons, dont la famille Gilli, les Lanteri, et l’arrivée de procédés de vinification plus modernes.

La production reste modeste : dans les années 1980, Bellet compte moins de 15 exploitations, pour moins de 60 hectares plantés (INAO). Mais cette rareté contribue à renforcer l’aura du cru, positionné comme “le grand vin oublié du Midi” dans la presse spécialisée (La Revue du Vin de France, 2016).

Les années 1990-2000 : Effervescence autour du patrimoine et ouverture à l’international

Au fil des années 1990, le Bellet commence à sortir de son rôle de secret bien gardé. Plusieurs facteurs concourent à cette ouverture :

  1. Médiatisation accrue : Les grands chefs de la région intègrent les blancs et rosés de Bellet dans leur carte, de Jacques Maximin à Alain Llorca. L’attachement au terroir niçois devient une marque de fabrique de la haute gastronomie locale.
  2. Investissements et modernisation : De nouveaux acteurs investissent dans les domaines (Château de Crémat, Château de Bellet), introduisent des techniques de vinification pointues – maîtrise du bois, contrôle de température, sélection parcellaire.
  3. Premiers pas à l’étranger : Dès la fin des années 1990, certains domaines commencent à exporter de petites quantités vers les États-Unis, le Royaume-Uni ou le Japon. Château de Bellet place ses flacons sur la carte de plusieurs restaurants étoilés à NYC ou à Londres (source : Terroirs du Monde).
  4. Tourisme viticole : Les caves s’ouvrent aux visiteurs, profitant de l’effet combiné de la French Riviera et de l’œnotourisme. La « Route du Bellet » voit le jour, offrant une alternative authentique aux visites de la Côte.

Ce renouveau repose également sur la valorisation de l’environnement exceptionnel : à quelques centaines de mètres du tumulte niçois, les vignobles de Bellet offrent des panoramas vertigineux sur la mer et le Mercantour. Cette dimension « entre mer et montagne » inspire la curiosité des guides internationaux et fait de Bellet un micro-vignoble à l’identité forte.

Distinctions et rayonnement sur la scène internationale

Entré dans une nouvelle ère, Bellet récolte dans les années 2000 et 2010 des distinctions inédites :

  • Référencement dans les guides internationaux : Le Wine Spectator et Decanter mettent pour la première fois en avant les vins de Bellet (notes supérieures à 90 pour certains millésimes de Domaine de Toasc ou Château de Crémat, en particulier sur les blancs à base de Rolle entre 2013 et 2017).
  • Dynamique bio & biodynamie : La conversion de la majorité des domaines à l’agriculture biologique attire la critique internationale pour sa qualité environnementale précoce, à l’image de la Famille Dalmasso et du Clos Saint-Vincent (source : Communiqué AOC Bellet 2020).
  • Récompenses : En 2011, le Château de Crémat remporte une médaille d’or au Concours Général Agricole de Paris pour son rosé, contribuant à asseoir le sérieux du cru.
  • Présence lors d’événements majeurs : Les vins de Bellet sont servis lors du sommet du G20 2011 à Cannes et lors de la visite du président Xi Jinping à Nice en 2019 (source : Ville de Nice).

En 2018, le vignoble compte environ 60 hectares exploités, 10 domaines et moins d’un million de bouteilles produites annuellement, faisant de Bellet l’une des AOC les plus confidentielles de France (Vitisphere, 2020).

Un terroir qui se préserve tout en se réinventant

Face à la pression urbaine croissante, Bellet s’affirme comme un vignoble en résistance. En 2021, une mobilisation locale a permis de sauver près de 10 hectares menacés par un projet immobilier, démontrant l’importance patrimoniale accordée à ces collines pour la ville de Nice (Nice Matin, 2021).

Dans les années à venir, le défi résidera dans la capacité du vignoble à maintenir son équilibre entre la tradition et l’innovation : préservation des cépages autochtones, replantation en altitude, développement de vins effervescents ou de nouveaux styles de vinifications (macération pelliculaire, amphores…). Bellet mise aussi sur la valorisation de son histoire au musée du Château de Crémat et par l’organisation d’événements culturels et œnotouristiques, donnant au vignoble un nouveau souffle.

À la croisée du patrimoine niçois et du monde

Bellet incarne désormais un modèle de micro-appellation ayant réussi à se faire reconnaître d’abord localement, puis nationalement et enfin sur la scène internationale — non pas par l’effet de volumes ou de marketing, mais par la singularité du terroir, la résistance des vignerons et la force d’attraction d’un paysage unique. À l’heure de la mondialisation des styles et des cépages, Bellet se distingue comme l’un des rares vins d’appellation à n’avoir jamais perdu sa fibre originelle, tout en démontrant sa capacité d’adaptation face aux enjeux du XXIe siècle.

Le parcours de Bellet, de la colline oubliée à la reconnaissance mondiale, continue d’inspirer les vignerons et amateurs, prouvant que l’authenticité attire encore, bien au-delà du sillage parfumé des citronniers et des oliviers niçois.

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