Par-delà la colline : la quête de légitimité du vignoble de Bellet

18 septembre 2025

Aux sources d’un terroir confidentiel : une histoire séculaire

Sur les hauteurs de Nice, entre océan de garrigue et méandres du Var, le vignoble de Bellet étire discrètement ses restanques depuis l’Antiquité. Inscrite au patrimoine agricole local depuis plus de deux millénaires, la culture de la vigne y a traversé guerres, invasions et bouleversements urbains sans jamais perdre son identité. Les premières traces attestées de la viticulture dans les collines niçoises remontent à l’époque romaine : amphores sigillées, restes de pressoirs et témoignages archéologiques jalonnent le territoire (sources : Inao, Les Vins de France, Le Monde).

Au fil des siècles, Bellet est devenu un symbole d’ancrage et de vitalité locale, à une époque où le vin s’imposait comme une ressource vitale, aussi bien pour la table quotidienne que pour la célébration des grands événements familiaux ou religieux. L’Édit de Turin de 1783, qui régule la circulation et le commerce des vins de la région niçoise, atteste déjà de la notoriété des crus issus des coteaux de Bellet.

Le paysage, acteur majeur de la distinction

Ce qui fait la singularité du Bellet, ce n’est pas seulement son histoire ancienne, mais l’alliance rare entre mer et montagne. La superficie du vignoble reste aujourd'hui extrêmement modeste : moins de 60 hectares plantés, cultivés par une douzaine de domaines (source : Syndicat de l’AOP Bellet), sur des pentes dominant la ville, dans la limite de dix quartiers communaux, entre 200 et 400 mètres d’altitude.

Les parcelles s’imbriquent dans un paysage de collines calcaires, très drainantes, avec un socle de galets roulés d’origine alpine, qui restituent la chaleur accumulée au fil de la journée. Ce microclimat bénéficie d’une particularité unique : les brises marines rafraîchissantes de la Méditerranée, la rudesse vivifiante des Alpes toutes proches, et plus de 300 jours d’ensoleillement par an. C’est cette alchimie qui confère au Bellet son profil aromatique si particulier : un équilibre rare entre fraîcheur, minéralité et puissance.

  • Altitude : 200 à 400 m
  • Précipitations annuelles : environ 730 mm (moyenne décennale, Meteo France)
  • Températures moyennes annuelles : 15°C
  • Ensoleillement moyen annuel : 2 700 h (source : Climatologie Météo France 2022)

Des cépages autochtones comme identité première

L’identité du Bellet repose sur quelques cépages quasi introuvables ailleurs.

  • Le Rolle (ou Vermentino) : cépage roi des blancs, il apporte structure et arômes d’agrumes, de fleurs blanches et d’herbes du maquis.
  • Le Braquet : joyau local, il donne naissance à des rosés d’une subtilité rare, tout en fraîcheur, aux notes de fraise et de poivre blanc.
  • Le Folle Noire (ou Fuella Nera) : richesse tannique et notes d’olives noires, caractérisent les rouges de Bellet.

Ces cépages participent d’un écosystème unique, cultivés, pour la plupart, sur des vignes âgées de 40 à 60 ans. Leur faible rendement (en moyenne 35 hl/ha contre 55 hl/ha pour les AOC voisines - source : Inao) participe largement à la qualité des vins et à leur personnalité hors norme.

Pourquoi la reconnaissance AOC ? Enjeux et batailles d’une appellation

La création de l’AOC Bellet, en 1941 (Décret du 11 novembre, source : Journal Officiel et INAO), est l’aboutissement d’un long combat initié par des vignerons visionnaires, décidés à préserver leur patrimoine face à l’expansion urbaine galopante de la Côte d’Azur et aux phénomènes d’arrachage post-phylloxera. À partir du début du XXe siècle, la pression foncière sur les collines niçoises devient telle que chaque arpent de vigne est menacé. La surface du vignoble chute de plus de 300 hectares à moins de 40 à l’orée des années 1930 !

Pour obtenir la précieuse reconnaissance, les vignerons ont dû prouver la spécificité du terroir et l’antériorité de leurs pratiques. Cela impliquait, dès le début des années 1930, de recenser les cépages historiques, de démontrer l’adéquation parfaite entre variétés cultivées, terroirs, exposition des parcelles et savoir-faire, face à l’administration viticole nationale nouvellement structurée autour de l’INAO (créé en 1935).

  • Protection contre les contrefaçons : Avant l’AOC, de nombreux vins produits ailleurs étaient frauduleusement écoulés sous le nom de « Bellet », détériorant la réputation locale.
  • Valorisation économique et sauvegarde foncière : L’AOC garantit aux producteurs un prix plus juste, dissuade la revente de parcelles au profit du béton, et rend possible la commercialisation premium au niveau national et international.
  • Préservation de la biodiversité et des pratiques : L’appellation impose des règles précises de production, limitant notamment les intrants chimiques et la productivité des sols, ce qui permet aujourd’hui à plus des deux tiers du vignoble d’être conduits en agriculture biologique ou en conversion (source : Syndicat des Vins de Bellet, 2022).

Des critères d’obtention stricts et un cahier des charges exemplaire

L’obtention du statut d’AOC n’a rien d’une formalité. Pour Bellet, cela s’est traduit par l’élaboration d’un cahier des charges rigoureux, toujours en vigueur aujourd'hui :

  • Délimitation parcellaire précise (aucune expansion possible hors des quartiers historiques des collines de Nice : Saint-Roman, Crémat, Saquier, etc.).
  • Encépagement obligatoire avec une forte proportion de cépages autochtones.
  • Rendements plafonnés (35 hl/ha maximum).
  • Élevage minimal pour garantir la typicité (6 mois minimum pour les rouges et blancs, 3 mois pour les rosés).
  • Récolte manuelle obligatoire sur la majorité des domaines.

À cela s’ajoute une dégustation annuelle d’agrément : chaque lot mis en bouteille doit passer l’épreuve d’une commission de dégustateurs, garantissant l’authenticité du style Bellet.

Un vignoble confidentiel, ambassadeur d’un art de vivre niçois

En 2022, les 11 domaines recensés n’ont produit qu’environ 150 000 bouteilles au total (source : Syndicat de l’AOP Bellet), réparties à près de parts égales entre blancs, rouges et rosés. En comparaison, certains crus prestigieux du Bordelais atteignent chacun le million de cols ! Cette rareté, loin d’être un handicap, contribue à la légende : boire un verre de Bellet, c’est s’offrir un morceau d’histoire, une fenêtre ouverte sur les oliveraies, les mimosas en fleurs et le brouhaha du "marché de la Libé".

Le Bellet est servi lors de nombreux événements institutionnels (réceptions officielles à la mairie de Nice, visites présidentielles, grands événements sportifs – source : Nice-Matin 2023). Sa notoriété croissante doit beaucoup à la mobilisation des vignerons pour sauvegarder la typicité de ce vin, et la résistance farouche à l’urbanisation, qui n’a jamais cessé de menacer ce territoire rare.

Perspectives : entre transmission et défis du XXIe siècle

Alors que la pression urbaine demeure forte et que les changements climatiques imposent de profondes adaptations, le Bellet incarne plus que jamais l’exemple d’une viticulture à taille humaine, en prise directe avec son territoire. L’obtention de l’AOC en 1941 ne fut pas seulement l’aboutissement d’un combat identitaire : c’est une promesse de continuité pour de nouvelles générations de vignerons, un socle de transmission pour la culture niçoise. Et c’est, pour l’amateur, l’assurance de découvrir – verre en main – l’expression d’un lieu unique, là où la Méditerranée rencontre les Alpes et offre au vin la magie du contraste.

Pour approfondir, retrouvez plus d'informations sur le site du Syndicat des Vins de Bellet (https://www.vinsdebellet.com), ainsi que dans les archives numérisées du Journal officiel de l’INAO.

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