Bellet : le vignoble miraculé face à la métamorphose urbaine niçoise

30 septembre 2025

Une enclave précieuse au cœur de la Côte d’Azur

Déployé sur les collines de Nice, le vignoble de Bellet semble flotter entre l’agitation des avenues niçoises et la douceur minérale des contreforts alpins. Cette oasis verte, ancrée sur moins de 60 hectares (Source : Syndicat des Vins de Bellet), se fond dans le paysage méditerranéen, capturant le bleu de la mer et le souffle sec du mistral. Pourtant, Bellet ne tient plus qu'à un fil, encerclé par des quartiers qui grignotent chaque flanc de coteau.

Alors que Nice a vu sa superficie tripler depuis le milieu du XXe siècle, comment les vignerons de Bellet sont-ils parvenus à sauvegarder ces vignes historiques ? À travers luttes, innovations et passion, le vignoble de Bellet incarne un véritable rempart contre la disparition des paysages agricoles méditerranéens.

Les racines profondes d’un terroir historique

Bellet n’est pas une simple curiosité viticole, mais un pan vivant de l’histoire niçoise. Les premières traces de viticulture remontent à l’époque romaine, et dès le Moyen Âge, les vins de Bellet s’exportent jusqu’à la cour de Savoie. Ce patrimoine unique façonne une identité locale forte : chaque cep de Rolle, Folle Noire ou Braquet porte le sceau d’une mémoire collective.

  • Une des plus anciennes AOC de France : La reconnaissance du vignoble de Bellet en Appellation d’Origine Contrôlée date de 1941 – à comparer aux plus grands crus français comme Châteauneuf-du-Pape (AOC en 1936) (Source : INAO).
  • Un terroir ultra-localisé : La zone d’appellation ne s’étend que sur une poignée de quartiers niçois (Saint-Roman-de-Bellet, Crémat, Colomars...), rendant chaque parcelle précieuse et convoitée.

La pression urbaine : un défi multiforme pour Bellet

La conquête de la « ville jardin » niçoise

Après la Seconde Guerre mondiale, l’expansion de Nice bouleverse le paysage : la ville passe d’environ 210 000 habitants en 1950 à plus de 340 000 aujourd’hui (Source : INSEE). Les collines, autrefois couvertes de cultures en terrasses, subissent la double tentation de la construction résidentielle et des infrastructures touristiques, synonymes d’essor économique.

  • Entre 1960 et 1995, la superficie plantée en vignes à Bellet est passée de 220 hectares à moins de 50 hectares (Source : CIVP), soit une chute de près de 80 % en 35 ans.
  • La valeur immobilière au mètre carré dans les quartiers qui jouxtent Bellet atteint aujourd’hui 5 000 à 7 500 €/m² (Source : MeilleursAgents), créant une pression financière énorme sur les terres agricoles.

Face à cette urbanisation galopante, certains domaines familiaux sont morcelés ou disparaissent purement et simplement, remplacés par des lotissements. Rares sont ceux qui survivent sans compromis.

Un enjeu de paysage et d’identité

La forte attractivité touristique de Nice, couplée à l’essor du tourisme résidentiel (résidences secondaires, villas de luxe), multiplie les tentations de conversion foncière. La perte d’une vigne est une double mutilation : atteinte à un paysage et effacement d’un héritage culturel.

  • Le syndrome de la colline mangée : Plus de la moitié des collines autrefois plantées de vignobles depuis la Promenade des Anglais jusqu’à la route de Digne ont été urbanisées en soixante ans.
  • Bellet n’a jamais été une appellation tournée vers la production de masse : moins de 200 000 bouteilles sont produites chaque année (INOA/Syndicat de Bellet), contre 7 millions à Bandol par exemple.

La mobilisation locale face à l’érosion du patrimoine viticole

Des familles et des vignerons engagés

Beaucoup de domaines actuels sont le fruit de la ténacité de familles qui refusent de céder à la flambée des prix fonciers. Certains comme le Château de Bellet, le Domaine de Toasc ou le Domaine de la Source ont fait le choix, coûteux mais assumé, de poursuivre la production, parfois au prix de la diversification (œnotourisme, réceptions, production d’huiles d’olive...).

L’engagement se traduit aussi par des pratiques culturales respectueuses (agriculture biologique, certifications), pour valoriser durablement des vignes souvent centenaires.

Des outils réglementaires pour défendre la vigne

  • Les PLU (plans locaux d’urbanisme) désignent les secteurs viticoles de Bellet en « zones agricoles protégées », interdisant la construction sur ces parcelles classées (voir documents d’urbanisme de Nice Métropole).
  • L’appellation AOC impose un cahier des charges strict : les parcelles ne peuvent conserver le label qu’à condition de maintenir la vocation viticole.
  • La mobilisation collective du Syndicat des Vins de Bellet, créé en 1948, a pesé dans les arbitrages locaux, obtenant le reclassement de plusieurs zones menacées en secteur non constructible.

La désignation de Bellet comme site classé en 1993 (« site remarquable du goût », Ministère de l’environnement) apporte une reconnaissance supplémentaire et un rempart législatif solide contre l'artificialisation.

L’arrivée de nouveaux acteurs bientôt décisive ?

Depuis une quinzaine d’années, de nouveaux profils de vignerons – souvent néo-ruraux issus d’autres régions ou de milieux artistiques – investissent Bellet, y voyant un espace rare pour produire des vins d’auteur et donner un nouveau souffle au vignoble. Leur créativité, ainsi que la diversification de l’offre œnotouristique (ateliers, balades vigneronnes, visites patrimoniales), participent à la reconnaissance et au maintien du vignoble face à la tentation de la vente foncière.

Les cépages de Bellet : une biodiversité rare protégée in extremis

La survie du vignoble ne se mesure pas qu’en surface. À Bellet, les cépages autochtones – Braquet, Folle Noire, Rolle – constituent un réservoir génétique précieux, menacé par l’arrachage et la standardisation. Sauver la vigne, c’est aussi préserver une biodiversité fragile, adaptée depuis des siècles aux pentes rocailleuses et aux vents du Var.

  • Le Braquet et la Folle Noire sont aujourd'hui quasiment exclusifs à Bellet (Source : FranceAgriMer), introuvables ailleurs dans des quantités significatives.
  • Le Rolle, plus connu sous le nom de Vermentino en Italie, donne ici des expressions uniques grâce à la singularité du terroir silico-calcaire.

La résistance du vignoble est aussi celle d’une micro-biodiversité agricole, reconnue et valorisée dans les démarches de préservation menées par les chercheurs de l’INRA et divers conservatoires régionaux.

Bellet entre traditions et renouveau : une ouverture sur l’avenir

Face à la tentation immobilière, la défense de Bellet prend aujourd’hui une dimension résolument proactive. Son maintien n’est plus seulement l’affaire des vignerons : l’implication de la métropole niçoise, des associations de protection du patrimoine et la fierté accrue des habitants contribuent à faire rayonner le vignoble local.

  • Le tourisme œnologique constitue l’un des relais de croissance les plus prometteurs : on dénombre aujourd’hui plus de 6 000 visiteurs par an dans les caves de Bellet (Source : Office de Tourisme Nice Côte d’Azur).
  • Plusieurs domaines ouvrent désormais leurs jardins, proposent des sentiers botaniques et des événements culturels, transformant le vin en expérience vivante et partagée.

La sauvegarde des vignes de Bellet illustre la force d’un territoire qui, loin de renier sa modernité, choisit de préserver son âme rurale. Au fil des décennies, Bellet a résisté non par nostalgie, mais par une alliance subtile de tradition, d’innovation, de législation et de fierté locale. La promesse d’un art de vivre qui, pour longtemps encore, fera dialoguer la vigne, la ville et l’azur.

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