Une terre viticole au carrefour de la Méditerranée et des Alpes
À flanc de colline, au-dessus de la ville de Nice, le vignoble de Bellet s’étend tel un balcon naturel entre les embruns de la Méditerranée et les rayons mordorés des Alpes-Maritimes. S’il séduit aujourd’hui par ses vins confidentiels, son histoire n’a rien d’anodin : Bellet est, à bien des égards, un des plus anciens vignobles de France dont l’origine se confond avec les premières pages de l’histoire niçoise.
La vigne est présente dans les collines niçoises depuis l’Antiquité, mais la naissance du vignoble de Bellet, dans son acception moderne et reconnue, est le fruit de multiples influences, d’adaptations et d’un engagement sans faille des hommes et des femmes de la région.
Des traces antiques : Bellet aux temps grecs et romains
Les premières vignes de la région niçoise remontent à l’époque grecque, lorsque les Phocéens fondent Nikaïa (l’actuelle Nice) aux alentours du IVe siècle av. J.-C. Selon l’historien Pierre Ségura (“Nice et son comté : histoire et traditions”), la viticulture aurait été importée avec des boutures et des techniques de taille venues du bassin méditerranéen. La proximité de l’embouchure du Var, point de transit commercial, favorise l’implantation des premiers ceps.
Les Romains, héritiers de ce savoir-faire, intègrent Bellet à la Provincia Romana au Ier siècle av. J.-C. Des amphores trouvées sur la colline Saint-Roman et sur la route des Vignes attestent d’un commerce viticole précoce (source : ArchéoAlpes, recherches 2010-2017). Les Romains développent l’irrigation sur ces coteaux bien exposés, exploitent le sol composé de galets roulés et amorcent un premier essor viticole dont les traces subsistent encore dans la toponymie locale (la “Via Vinaria” menant à la colline de Bellet).
Le Moyen Âge : âge d’or et menaces sur le vignoble
L’arc ligure, le comté de Savoie, les incursions barbares… Durant le Moyen Âge, le vignoble de Bellet oscille entre prospérité et déclin. La vigne reste cependant essentielle à la vie rurale et au ravitaillement des cités alentours, à commencer par Nice. Dès le XIIe siècle, on retrouve dans les archives des échanges de “vin de Bellet”, signe d’une réputation qui dépasse progressivement le cadre local.
- Le recensement de 1431, commandé par le duc de Savoie, fait état de “plus de 450 barriques” de vin produites annuellement sur les collines niçoises (archives départementales des Alpes-Maritimes).
- Des monastères, tel que celui de Saint-Pons, possèdent et exploitent des parcelles dédiées à la production de vins de messe et de consommation courante.
L’alternance de conflits (invasions, guerres de succession, peste noire) fragilise périodiquement le vignoble, sans jamais conduire à sa disparition. La volonté des familles paysannes et aristocratiques de conserver une production de vin typée, à la fois structurée autour du terroir et du microclimat local, permet la transmission des savoir-faire.
Du comté de Nice à la France : entre crise et renaissance
À la charnière des XVIIe et XVIIIe siècles, le vignoble de Bellet bénéficie du retour de la stabilité sous la tutelle du royaume de Piémont-Sardaigne. Le vin de Bellet s’invite sur de nombreuses tables : il est même servi lors du couronnement de Napoléon Bonaparte à Paris en 1804 (d’après les récits de Jean-Charles Augustin, chroniqueur du XIXe siècle).
- Vers 1730, la production de vin atteint un pic avec près de 230 hectares plantés (source : INAO, dossier de l’AOC).
- Le vin se distingue par sa teneur modérée en alcool (11-12,5%), et une capacité de vieillissement qui le fait apprécier jusqu’à Turin, Gênes, puis Marseille.
Mais la fin du XIXe siècle apporte son lot de défis : la crise du phylloxéra, l’urbanisation grandissante de Nice, et la concurrence des grands vins du Bordelais poussent Bellet au bord de l’extinction. Plusieurs domaines familiaux disparaissent, la superficie tombe sous les 50 hectares à la veille de la Première Guerre mondiale (chiffres de l’INAO et Association des Vignerons de Bellet).
La ténacité d’une poignée de familles—Labarraque, Dalmasso, ou encore les produttori de Crémat—permet de replanter la vigne, d’introduire le porte-greffe américain et de préserver ce vignoble aux portes de la Provence.
Reconnaissance et particularités : la création de l’AOC Bellet
Tout le XXe siècle marque l’élan salvateur du vignoble. Dès l’entre-deux-guerres, des hommes visionnaires s’organisent pour préserver l’authenticité des vins de Bellet. Le 11 novembre 1941, Bellet obtient son classement en Appellation d’Origine Contrôlée (AOC), parmi les premiers de France pour un vignoble aussi restreint (source : INAO).
- La zone délimitée couvre aujourd’hui moins de 60 hectares, répartis sur les quartiers de Bellet, Crémat, Saint-Roman, Sainte-Hélène et Saquier (INAO, 2023).
- Le cépage autochtone, le Rolle (ou Vermentino), façonne une grande partie des blancs ; la Folle noire, le Braquet et le Grenache composent la majorité des rouges et rosés.
- Des rendements volontairement faibles (moyenne : 30 à 40 hl/ha) assurent une qualité constante.
Cette AOC a permis d’imposer un cahier des charges strict, protégeant l’identité du vin mais aussi la mosaïque de paysages qui l’abritent. C’est également grâce à ce statut que Bellet a pu résister à la pression immobilière de l’après-guerre et conserver un visage rural et préservé aux abords de l’agglomération niçoise.
Terroir, traditions et transmission : la singularité Bellet
Si la date d’émergence du vignoble tel qu’on le connaît aujourd’hui est difficile à figer tant l’histoire de Bellet épouse les tourments de la région, sa singularité tient à quelques grands atouts :
- Un sol rare : Les “poudingues de Bellet”, ces dépôts de galets et d’argiles rouges hérités du Tertiaire, favorisent la rétention d’eau en profondeur tout en assurant un drainage parfait (étude INREE, 2019).
- Une exposition unique : Les vignes, situées entre 200 et 400 mètres d’altitude, profitent de vents frais venus des alpages et de l’ensoleillement méditerranéen, protègent les parcelles de maladies et produisent des raisins à maturité lente, essence même de la fraîcheur et de la vivacité des vins de Bellet.
- Une identité immuable : Malgré l’appétit de la ville et le déclin de nombreux petits vignobles, Bellet a conservé une structure familiale, des maisons emblématiques (Château de Bellet, Domaine de la Source, Collet de Bovis, et bien d’autres), et une capacité d’innovation qui séduit des sommeliers étoilés autant que des amateurs curieux.
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Des chiffres-clés aujourd’hui :
- Superficie AOC : 51 hectares plantés (INAO, 2023)
- Nombre de producteurs : 11 domaines certifiés AOC
- Production annuelle : autour de 1200 hl, soit environ 180 000 bouteilles
- Part des vins blancs : environ 40 %, les rosés : 35 %, les rouges : 25 %
Les traditions locales, comme la bénédiction annuelle des vignes à la Saint-Vincent ou la rituelle vendange manuelle, rappellent combien le vignoble reste ancré dans l’histoire et le tissu social de Nice et de ses collines.
L’esprit de Bellet : un vignoble entre héritage et renouveau
De la Méditerranée aux Alpes, Bellet a traversé épreuves et mutations pour façonner l’un des vignobles les plus confidentiels et patrimoniaux de France. Son histoire, entremêlée à celle de Nice, révèle la persévérance d’un terroir qui a défié le temps, résistant à l’oubli et à la modernité galopante.
Aujourd’hui, visiter Bellet, c’est ressentir l’écho de ces siècles où tout fut semé, perdu, puis sans cesse reconquis. C’est retrouver l’âme d’un vignoble, forgé par l’histoire et sublimé par la main de l’homme, invitant à découvrir une identité viticole unique en France.
Pour en savoir plus sur le patrimoine de Bellet et découvrir toute la richesse de ses domaines, consultez notamment :
- L’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO)
- Les archives départementales des Alpes-Maritimes
- L’ouvrage « Nice et son comté » par Pierre Ségura
- Association des Vignerons de Bellet (vinsdebellet.com)