Des premiers ceps aux AOP : Voyage dans l’histoire mouvementée du vignoble de Bellet

16 septembre 2025

Aux sources du Bellet : des origines antiques au Moyen Âge

La culture de la vigne sur les collines de Nice remonte à l’Antiquité. Les historiens s’accordent à dire que les premiers ceps ont probablement été plantés par les Grecs, dès le IIe siècle avant J.-C., lorsque Marseille diffuse la viticulture le long de la Méditerranée (source : Jean-Pierre Papon, Histoire Générale de Provence, 1786). Les Romains, dès la fondation de Cemenelum (l’actuelle Cimiez), élargissent et structurent l’activité jusqu’à la chute de l’Empire.

Quelques éléments majeurs de cette période :

  • Des amphores retrouvées lors de fouilles archéologiques à Saint-Roman-de-Bellet et sur la colline de Crémat témoignent d’une activité viticole régulière dès le premier siècle de notre ère.
  • Des textes médiévaux mentionnent la présence de vignobles ruraux autour de Nice dès le XIe siècle, notamment parmi les possessions des moines de Saint-Pons.

L’âge d’or médiéval et renaissant : la vigne, pilier du terroir niçois

Au Moyen Âge, la viticulture s’impose comme pilier économique et culturel du pays niçois. Comme souvent en Provence, ce sont les monastères qui, grâce à des cartulaires, entretiennent et développent les cultures. Le climat doux et l’altitude modérée des collines de Bellet favorisent la multiplication des cépages adaptés, et la qualité du vin local commence à se distinguer.

Du XVe au XVIe siècle, plusieurs facteurs contribuent à l’essor :

  • L’intégration du Comté de Nice dans les États de Savoie, et donc l’ouverture commerciale vers le Piémont et Turin via des voies alpines.
  • L’usage religieux du vin, qui multiplie la demande auprès des églises, des abbayes et des communautés niçoises.

À cette époque, le vignoble de Bellet jouit d’une réputation croissante, attestée par le fait que le vin est déjà exporté jusqu’aux tables de la noblesse turinoise au début du XVIIe siècle.

Crises et mutations : Bellet face aux aléas de l’Histoire (XVIIe-XIXe siècles)

Victime de la convoitise de nombreux potentats et du jeu complexe entre la France et la Savoie, le Comté de Nice, et avec lui le vignoble de Bellet, connaît plusieurs séismes historiques :

  • Invasions françaises à la fin du XVIIe, épidémies et crises économiques abaissent drastiquement la production.
  • Durant la Révolution et l’Empire, les terres religieuses, souvent parmi les plus fertiles, sont morcelées, ce qui redistribue la propriété mais freine parfois le maintien de la tradition qualitative. En 1793, la France annexe le Comté de Nice, causant de nouvelles tensions sociales.

La grande secousse du XIXe siècle reste le passage du phylloxéra. Introduit en Provence en 1864, ce parasite dévaste aussi Bellet, dont la superficie, d’environ 250 hectares en 1850, chute brutalement à moins de 50 hectares à la fin du siècle (Source : Marie-Thérèse Verdet, Bellet, le vignoble secret du Comté de Nice, 1998). Certains cépages autochtones disparaissent, dont la Folle Noire manque d’être éradiquée.

À la Belle Époque, la relance se fait discrète mais passionnée. Quelques familles d’industriels et d’érudits (notamment Joseph Gastaud et la lignée du château Crémat) décident de replanter et de restructurer les collines, posant les fondations du Bellet moderne.

Du XXe siècle à l’ère moderne : reconnaissance, renaissance et défis contemporains

Le temps de la qualification et l’aventure de l’AOC

Avec le XXe siècle, l’enjeu devient celui de la reconnaissance. Le Bellet, vignoble modeste mais d’une qualité unique, veut préserver son identité face à la poussée de l’urbanisation niçoise.

Quelques étapes structurantes :

  1. 1933 : Ensemble avec Châteauneuf-du-Pape et Cassis, Bellet devient l’un des premiers vignobles français à recevoir officiellement une Appellation d’Origine Contrôlée (AOC). Cette distinction est actée par un décret du 11 novembre 1941, confirmant la typicité de ses cépages (notamment le Rolle, la Folle Noire et le Braquet) et de ses méthodes culturelles (source : INAO).
  2. 1960 : Création du Syndicat des Vins de Bellet, pour renforcer le contrôle de qualité et protéger les intérêts des vignerons face à l’empiètement urbain.

Un micro-vignoble confronté à la modernité

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la surface de Bellet atteint péniblement la centaine d’hectares, alors même que Nice connaît une explosion démographique. Plusieurs parcelles disparaissent sous le béton. Dans les années 1980, il ne reste plus qu’une poignée de domaines familiaux : le château de Bellet, le Domaine de Toasc ou encore Collet de Bovis.

  • 1993 : Le Bellet est inscrit au patrimoine agricole des Alpes-Maritimes, forgeant une identité spécifique et renforcée.
  • 2000-2020 : La vague du bio gagne du terrain ; aujourd’hui, plus de 50% des surfaces sont certifiées ou en conversion biologique, un taux inégalé pour une AOP niçoise (source : Syndicat Bellet).

Malgré un volume extrêmement restreint (70 à 80 hectares en production actuellement et moins de 200 000 bouteilles annuelles), Bellet jouit aujourd’hui d’une reconnaissance nationale et internationale, notamment auprès de sommeliers parisiens et de grands chefs de la Côte d’Azur. Les domaines rivalisent sur les concours — et le Rolle (Vermentino), la Folle Noire ou le Braquet font figure de curiosités recherchées.

Anecdotes historiques et patrimoine vivant

Quelques faits insolites ponctuent la trajectoire du vignoble :

  • Le château de Crémat, l’un des bastions du Bellet, inspire Coco Chanel pour… le double-C de sa célèbre maison, selon des historiens locaux.
  • Pendant la Seconde Guerre mondiale, le vignoble sert de cache à la Résistance ; plusieurs propriétaires protègent des familles juives sur leurs propriétés.
  • Certains ceps de Folle Noire du domaine Sainte-Marguerite ont plus de 120 ans — témoins silencieux de la résilience face au phylloxéra.

Perspectives : un terroir protégé par la passion et le temps

Le Bellet a traversé les siècles grâce à la ténacité de familles de vignerons, les innovations d’œnologues pionniers et l’attachement indéfectible des Niçois à leur patrimoine. Aujourd’hui, il fait face à de nouveaux enjeux : menaces climatiques, pression foncière, rareté de la relève… Pourtant, les vins de Bellet ne cessent d’inspirer et de surprendre, invitant à (re)découvrir un pan entier de l’histoire niçoise dans chaque verre.

Pour aller plus loin et plonger dans la mémoire viticole de Bellet, quelques références incontournables :

  • Marie-Thérèse Verdet, Bellet, le vignoble secret du Comté de Nice, Édisud, 1998.
  • Richard Blin, Le Bellet, des collines niçoises aux tables prestigieuses, Revue du Vin de France, 2020.
  • Syndicat des Vins de Bellet : vinsdebellet.com

Des amphores antiques aux luxueux flacons d’aujourd’hui, l’histoire du Bellet se savoure autant qu’elle s’étudie. Ce vignoble confidentiel, enraciné entre mer et montagne, demeure l’un des joyaux méconnus du patrimoine français, fort d’avoir survécu à chaque tempête pour offrir ses arômes raffinés à qui saura s’y aventurer.

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