Les Familles de Vignerons : Artisans de l’Histoire et de l’Ame du Bellet

20 septembre 2025

Un vignoble à la croisée des chemins : origines et transmission familiale

Perché sur les coteaux abrupts qui surplombent Nice, le vignoble de Bellet évoque un paysage où la vigne tutoie la mer et les forêts de pins. Cette singularité géographique, entre Méditerranée et Préalpes, a réservé le Bellet à une poignée d’exploitants, souvent issus de lignées profondément enracinées localement. Ici, le rôle des familles de vignerons transcende l’agriculture : il s’agit d’un véritable acte de préservation patrimoniale, transmis de génération en génération.

Dès le Moyen Âge, la vigne était présente sur les collines niçoises — une présence attestée dès le XIIe siècle, lorsque les moines de Saint-Pons structuraient peu à peu le paysage viticole local (Source : Comité des Vins de Bellet). À cette époque, les propriétés agricoles se transmettaient essentiellement par héritage familial, dessinant une carte foncière morcelée mais tenace. Cette transmission par filiation, loin de s’essouffler, a permis à la culture de la vigne d’affronter les heurts de l’histoire régionale : invasions, phylloxéra et urbanisation galopante au XXe siècle.

Des dynasties vigneronnes aux mains du destin

Certaines familles ont durablement inscrit leur nom dans l’histoire du Bellet. Si l’on parle aujourd’hui d’une dizaine de domaines emblématiques sur seulement 50 hectares en AOC, c’est bien parce qu’ils ont survécu, génération après génération, à la disparition de la majorité des vignes alentours.

  • Famille Dalmasso (Domaine de Toasc) : Figure incontournable, la famille Dalmasso cultive la vigne sur Bellet depuis le XVIIIe siècle. Leur attachement à la biodiversité locale et à la préservation des cépages endémiques (comme le braquet ou la folle noire) en font des garants du style traditionnel du Bellet (Source : Domaine de Toasc).
  • Famille Rasse (Château de Bellet) : Les Rasse, famille originaire d’Italie, rachètent en 1935 le domaine portant aujourd’hui le nom de l’AOC elle-même. Leur empreinte s’est exercée aussi bien sur l’architecture emblématique (chapelle familiale, caveau) que sur la notoriété internationale du Bellet grâce à une politique de modernisation progressive (Source : Château de Bellet).
  • Famille Gili (Domaine de la Source) : Représentative de ces familles enracinées à Bellet, la famille Gili perpétue la tradition viticole depuis cinq générations, s’attachant à préserver la lutte manuelle (vendanges à la main, labours traditionnels) et le respect du terroir (Vindela).

Ce fil rouge familial, c’est la transmission d’un savoir-faire minutieux : taille de la vigne adaptée au microclimat, gestion de l’eau précieuse sur des sols pauvres, et élaboration de vins qui expriment au plus juste la singularité du paysage niçois.

Cépages racontés de père en fils, gestes ancrés dans la terre

La force du Bellet réside dans la préservation de cépages rares, que seules des dynasties vigneronnes ont su défendre envers et contre tout.

  • Le braquet : Cépage rouge emblématique du Bellet, quasi-inconnu ailleurs, il était menacé d’extinction dans les années 1960. Les familles locales, mobilisées autour de la sauvegarde de leur patrimoine végétal, n’ont jamais cessé de le planter. Aujourd’hui, il occupe une place centrale sur les 40% de l’encépagement en rouge (Source : Vins de Bellet - Syndicat).
  • Le rolle (vermentino) : Les familles de Bellet ont, depuis des générations, sélectionné ces souches méditerranéennes résistantes à la sécheresse, qui donnent aux blancs du Bellet leur fraîcheur singulière.
  • La folle noire : Ancien cépage indigène, autrefois considéré comme rustique, la transmission familiale de son mode de culture a permis sa sauvegarde et sa réévaluation qualitative.

Cette diversité ampélographique est le fruit de convictions ancrées dans la tradition familiale : ici, la “modernité” n’a jamais pris le pas sur la fierté identitaire, et la moindre parcelle détient encore l’écho des conseils transmis au fil des veillées et à la vigne, entre générations.

Résilience face aux crises : familles gardiennes d’un patrimoine menacé

Le Bellet a survécu à d’innombrables tempêtes, souvent grâce à la solidarité entre familles vigneronnes.

  • Le phylloxéra (fin XIXe – début XXe siècle) : Ce puceron ravageur a failli sonner la disparition du vignoble : en 1885, le Bellet ne comptait plus que quelques hectares en production (Source : INAO). Les familles ont alors recouru à la greffe sur porte-greffe américain, ce qui a sauvé la vigne locale mais au prix d’un labeur acharné et d’un investissement collectif.
  • L’urbanisation dans les années 1960-1990 : L’explosion démographique niçoise aurait pu balayer le vignoble. Les familles ont tenu bon, refusant de céder des parcelles à la spéculation immobilière. Grâce à leur résistance et à l’obtention du classement en AOC Bellet en 1941 — un des tout premiers de France — la culture viticole put perdurer sur ces coteaux précieux.

Derrière chaque rang de vigne, il y a donc une histoire de courage et d’attachement à la terre, souvent synonyme de sacrifices personnels pour préserver un héritage fragile.

Transmission et modernité : l’esprit Bellet à l’épreuve du XXIe siècle

Aujourd’hui, la transmission familiale se conjugue avec l’innovation. Les nouvelles générations, souvent formées à l’œnologie moderne, n’hésitent pas à introduire des pratiques durables et à valoriser la singularité du Bellet sur la scène internationale.

  • Agriculture bio et biodynamie : Plusieurs domaines familiaux, tels que le Domaine Saint Jean ou le Domaine de la Source, sont revenus à des pratiques biologiques, épousant une démarche respectueuse du terroir et de la typicité locale (Source : Guide Hachette 2023).
  • Valorisation de l’œnotourisme : Les familles vigneronnes ont ouvert leurs portes, proposant dégustations, visites et ateliers immersifs pour transmettre leur passion directement aux visiteurs. Cette ouverture a permis d’attirer près de 10 000 visiteurs par an sur la route des vins de Bellet (Source : Office du Tourisme Métropolitain Nice Côte d’Azur).
  • Diversification artisanale : Nombre de familles produisent désormais de l’huile d’olive, du miel ou accueillent des tables d’hôtes, perpétuant ainsi la tradition d’hospitalité et la polyvalence agricole niçoise.

Au cœur de ces évolutions, une question : comment continuer à transmettre sans diluer l’essence historique ? La réponse réside souvent dans un équilibre subtil entre respect des gestes anciens et curiosité pour les outils et marchés de demain.

La mosaïque humaine du Bellet : familles, ouvriers et influences

Si le récit privilégie souvent les lignages historiques, il convient de souligner la diversité sociale du Bellet, enrichie au fil des siècles par :

  • Des apports de main-d’œuvre italienne au XIXe siècle, dont certains ouvriers devinrent à leur tour propriétaires de petites parcelles.
  • La transmission des domaines à des familles “adoptives”, parfois venues d’autres horizons, mais convaincues de faire vivre la flamme locale avec autant de fidélité.

Le paysage humain du Bellet est donc un patchwork où chaque famille, chaque histoire contribue à façonner l’identité du vignoble. Un verre de Bellet, c’est la mémoire de ces générations mêlées, le parfum du mimosa après la pluie et le souffle salin des brises d’ouest qui caressent les grappes les plus haut perchées.

La force du Bellet : un vignoble vivant entre héritage et renouvellement

Si le Bellet ne compte encore qu’environ 15 domaines et 150 000 bouteilles produites par an (Source : INAO), c’est la marque d’une tradition familiale résiliente qui n’a jamais cherché la production de masse. Bien au contraire, chaque cuvée s’inscrit dans une lignée, une histoire, un lien intime entre la terre et ceux qui l’habitent et la travaillent.

Tout au long des saisons, la vie du Bellet reste rythmée par la main humaine, par ces familles qui, dans l’ombre d’une vieille bastide ou sous la lumière dorée du matin niçois, recommencent inlassablement à écrire le récit d’un vignoble minuscule, mais porté par une ambition universelle : celle de partager la beauté d’un terroir secret.

À l’heure où de nombreux vignobles du monde cherchent la voie de l’authenticité, Bellet peut s’appuyer sur la richesse de celles et ceux qui, en héritiers fidèles et audacieux, continuent de tisser la trame d’un patrimoine vivant. Au fil du temps, chaque famille ajoute sa note à la symphonie du Bellet, invitant les amateurs à en découvrir les accords, la puissance minérale et la délicatesse aromatique, année après année.

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